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Les auto-écoles jouent-elles vraiment le jeu de la conduite accompagnée ?


La conduite accompagnée peine toujours à s’imposer. Vanté comme le sésame d’une route plus sûre, l’Apprentissage Anticipé de la Conduite (AAC) représente seulement 16,7 % des candidats en 2023. Entre promesses illusoires, logiques financières antagonistes et pratiques disparates, la réalité de la situation interroge : les auto écoles, maillons clés du dispositif, jouent-elles vraiment le jeu de la conduite accompagnée et en ont-elles seulement les moyens ?


À sa création, la conduite accompagnée promettait de former des conducteurs plus aguerris et responsables. Les chiffres promis laissaient entrevoir une révolution. Trente-cinq ans plus tard, l’AAC stagne à 16,7 % des inscriptions, malgré des taux de réussite effectivement flatteurs : 75 % de réussite contre 56 % en filière classique (en 2023). Sur le papier, l’objectif était pourtant clair : offrir un mode d’apprentissage progressif, reconnu pour favoriser une conduite plus maîtrisée et responsable chez les jeunes conducteurs. Ce dispositif ultra encadré par la loi impose aux auto‑écoles une obligation légale de le proposer à tous les candidats. Mais alors, pourquoi des chiffres aussi médiocres ?

L’AAC : un petit succès et en trompe-l’œil

Là où la formule classique repose sur un minimum de 20 heures de conduite en auto-école avant de se présenter à l’examen, la formule AAC implique un parcours nettement plus conséquent, à savoir 20 heures de cours identiques à partir de 15 ans, mais 3 000 km en plus à parcourir avec un ou plusieurs tuteurs, et trois rendez-vous pédagogiques : un pour obtenir l’AFFI – Attestation de Fin de Formation Initiale – après les 20 heures en auto-école (permettant de débuter la conduite accompagnée, donc les 3 000 km), un en milieu de parcours, et un dernier avant l’examen. Et pour les deux formules, un permis qui avoisine finalement les 30/35 heures de formation. Grosse désillusion, donc, avec l’AAC, surtout que l’examen est désormais accessible pour les deux filières dès 17 ans.

Si l’AAC affiche un taux de réussite supérieur à l’examen, cette supériorité masque une réalité plus complexe. Sur le plan financier, l’AAC, souvent présenté comme plus économique, peut en fait revenir plus cher que la filière classique. En effet, un nombre non négligeable d’heures complémentaires s’ajoute fréquemment au forfait initial. De plus, certaines auto-écoles se permettent de facturer les rendez-vous pédagogiques obligatoires.

À noter que les auto-écoles ont l’obligation légale de proposer l’AAC. L ’arrêté du 11 octobre  2024 impose d’ailleurs que le modèle de contrat mentionne clairement l’AAC, ses modalités et les obligations de l’accompagnateur, mais pas celle de l’auto-école !

20 heures, toujours loin du compte…

Nombreux sont les élèves qui, après les 20 heures de formation initiale, peinent encore à maîtriser les gestes et les automatismes de base : tourner le volant correctement, se positionner sur les voies de circulation, passer les vitesses sans à-coups, gérer la circulation dense, respecter les priorités à droite, orienter son regard à bon escient, anticiper les comportements des autres usagers, avoir les bons réflexes ou même simplement…freiner. Permis Pratique avait déjà pointé ces « lacunes récurrentes de la conduite accompagnée », montrant que beaucoup repartent sans méthode ni automatismes solides. Mais pas que… Le dialogue entre moniteur et élève s’avère parfois limité, voire inexistant, sans débriefings systématiques ni exercices ciblés, ce qui entraîne la répétition des mêmes erreurs.

Dans la conduite accompagnée, les 20 heures s’avèrent donc souvent insuffisantes, surtout si les auto-écoles ne jouent pas le jeu. Et ce sera aux familles de pallier ces manquements au sortir des 20 heures (quelques heures facturées hors forfait auront certainement été ajoutées pour arriver à nos 35 heures, exactement comme la filière traditionnelle). Beaucoup de parents se sentent démunis face à cette responsabilité et les règles de l'accompagnant en AAC. Contraintes de temps, relationnel parent/enfant, carburant, entretien du véhicule viennent alourdir cette responsabilité.

Les accompagnateurs – non formés – devront encadrer plusieurs milliers de kilomètres sans réelle méthode ni pertinence pour le jour de l’examen. Par exemple, la conduite de nuit a toutes les chances de faire partie des 3 000 km, sauf que le jour de l’examen devant l’inspecteur, l’examen sera en journée. En bref, pendant que les parents préparent à la vraie conduite, les auto-écoles préparent uniquement au permis et maraudent pile en conditions et sur les parcours d’examen. Forcément, la préparation n’est pas la même.

Il apparaît enfin que de nombreux AAC ne bénéficient pas d’un suivi assidu. Ainsi, malgré ses avantages en termes de réussite et de sécurité routière, l’AAC reste dépendante de la capacité des familles à s’investir. Là où la filière classique permet un suivi professionnel jusqu’à l’examen et un ajustement des heures selon les besoins, l’AAC délègue en effet une grande part de la progression à un environnement familial aux contours très variables.

Quelques promesses tenues

Un meilleur taux de réussite : les élèves issus de l’AAC réussissent l’examen dès la première tentative dans 74,7  % des cas, contre 56  % en filière classique (Sécurité routière, 2023). Dans un bilan sur l’obtention du permis B à l’âge de 17 ans, les chiffres du premier semestre 2024 confirment d’ailleurs cette tendance : les jeunes de 17 ans inscrits en AAC réussissent à 80,4  % contre 55,9  % tous âges confondus.

Moins d’accidents : les jeunes conducteurs formés en AAC sont statistiquement moins impliqués dans les accidents graves ou mortels durant les deux premières années de conduite (ONISR, 2025).

Un apprentissage plus complet : grâce aux 3 000 km effectués, les élèves gagnent en maîtrise, en confiance et en gestion du stress.

Des automatismes durables : la répétition étalée dans le temps de gestes fondamentaux permet d’ancrer une mémoire motrice certaine, ce que ne suffisent généralement pas à offrir 20 ou 30 heures de conduite.

Plus d’autonomie : un formateur souligne qu’en conduite traditionnelle « l’élève parcourt en moyenne 300 km, et 3 000 km de plus en AAC, ce qui l’autonomise et le prépare mieux aux situations complexes ».

Un avantage économique : certains assureurs proposent des primes réduites à ces jeunes titulaires du permis, en raison de leur profil statistiquement moins risqué. En réalité, l’avantage économique est d’obtenir plus rapidement un bonus, mais pas vraiment de grosses réductions sur les primes jeunes conducteurs.

Une période probatoire réduite : les jeunes conducteurs formés en AAC seront crédités de leurs 12 points sur le permis à l'issue de 2 ans, contre 3 ans pour ceux provenant de la filière classique.

Implication des auto-écoles : où est-ce que ça bloque ?

Jusqu’en 2023, les auto-écoles fonctionnaient avec la Méthode Nationale d’Attribution (MNA), qui répartissait les places d’examen pratique selon un quota mensuel par établissement. Chaque auto-école recevait un nombre global de places qu’elle distribuait ensuite à ses élèves selon ses propres critères. Ce système favorisait les premières présentations, jugées plus « prometteuses », pour maximiser le taux de réussite et obtenir ainsi plus de places. Les élèves en conduite accompagnée, au parcours plus long et souvent moins linéaire, pouvaient donc être relégués au second plan.

Depuis le 1er mars 2023, la plateforme RdvPermis est venue remplacer la MNA, et l'Etat parle d’une « véritable rupture avec la MNA : les places seront désormais attribuées nominativement aux élèves, selon des critères objectifs (volume d’activité, nombre de formateurs de l’auto-école, coefficient départemental). Conséquence : tous les candidats, AAC compris, sont censés être soumis aux mêmes règles de réservation et aux mêmes délais en cas d’échec.

Mais dans la pratique, la promesse d’équité peine à se concrétiser. RdvPermis s’apparente en effet à un labyrinthe administratif : créneaux éphémères, interface difficile, mises en ligne mal adaptées… La plateforme suscite de vives critiques : des moniteurs jugent l’accès « absolument délirant » – « en cinq secondes, tous les créneaux ont disparu », déplore un gérant, qui exige le retour à l’ancien dispositif. Sous pression pour réserver des places d’examen, nombre d’auto‑écoles retrouvent, de fait, leurs anciens réflexes et priorisent les candidats jugés les plus « prometteurs ».

Ainsi, malgré les ambitions d’uniformisation portées par RdvPermis, la conduite accompagnée reste vulnérable face à un système qui valorise encore, en filigrane, les profils les plus conformes aux standards d’efficacité.

Une rentabilité en demi-teinte pour les auto-écoles

Niveau rentabilité, un élève AAC rapporte en moyenne 30 % de moins qu’un élève en formation classique (FNAE, 2023). En cause : une formation en deux temps. À leur retour, les élèves consomment peu d’heures, ce qui réduit la rentabilité pour les auto‑écoles et la tentation d’offrir un service minimum pour le forfait 20 heures. À l’inverse, la filière classique permet un suivi constant, davantage d’heures facturées et un contrôle optimisé du calendrier. Les écoles ont donc toujours intérêt à privilégier les profils « sûrs et linéaires », d’autant que les charges fixes (locaux, salaires, véhicules…) restent élevées.

Malgré ses bons résultats à l’examen, l’AAC reste donc moins attractif économiquement, d’autant plus face à la concurrence des plateformes en ligne à bas coût (Ornikar, LePermisLibre, Stych…) qui proposent des forfaits très compétitifs, mais qui ne proposent pas toujours l’AAC. Cela peut de facto détourner les familles de la conduite accompagnée.

Plusieurs moniteurs témoignent ainsi d’un désengagement vis-à-vis de l’AAC, la jugeant « chronophage » et peu valorisée. En bref, peu d’auto-écoles s’engagent pleinement dans cette formule, faute de motivation mais aussi et surtout de gains financiers.

L’État : sur-administrateur des auto-écoles

L’État fixe des obligations claires aux auto-écoles : rendez-vous pédagogiques, information des candidats, suivi structuré. Mais aucune aide financière, aucun soutien logistique, aucun mécanisme incitatif n’a réellement été mis en place pour encourager les établissements à qui l’on demande de vanter cette formule.

Les auto-écoles sont aussi pieds et poings liés. Résultat : des coûts fixes importants pour peu de retour économique, puisque la conduite accompagnée se déroule hors de l’auto-école. Sur le terrain, les rendez-vous pédagogiques sont parfois expédiés ou peu efficaces, faute de moyens et d’enjeux clairs. En l’absence de leviers concrets, l’AAC reste un modèle peu encouragé, malgré ses bons résultats.

Alors, on signe… ou on s’abstient ?

Sur le papier, la conduite accompagnée a tout d’un modèle vertueux qui donne envie de signer. Dans les faits, ce tremplin vers une route plus sûre se heurte néanmoins à un mur de réalités qui peut faire peur. Certes, on promet un apprentissage progressif, des jeunes conducteurs plus prudents, un permis plus accessible. Mais on confie la réussite du dispositif à des parents non formés, à des moniteurs débordés, et à des auto-écoles priées de faire mieux avec moins. Moins de moyens, moins de reconnaissance, moins de rentabilité, et évidemment plus de lourdeurs administratives.

L’État légifère, oblige, encadre… mais oublie de soutenir. Et s’étonne que les auto-écoles ne se ruent pas pour jouer un jeu où les dés sont pipés d’avance, faisant de la conduite accompagnée un levier pédagogique… sans levier. Dommage. Car, au fond, l’AAC est un bel outil qui mérite qu’on s’y investisse.

L'avis de Permis Pratique

Si vous optez pour la conduite accompagnée, assurez-vous:
 
  • Que vous et votre ado êtes motivés !
  • Que vous pourrez investir en temps… et en argent (prix du forfait + heures complémentaires + coût éventuel des séances pédagogiques + frais liés aux 3 000 km).
     
Mais surtout :
 
  • Renseignez-vous sur l’approche pédagogique mais aussi sur les coûts réels de la formule (histoire d’éviter les mauvaises surprises) : frais administratifs divers, potentielles heures complémentaires, rendez-vous pédagogiques inclus ou non dans le forfait…
     
  • Pour effectuer vos 3 000 km, vous n’aurez pas forcément la même voiture que celle de l’auto‑école. Prenez le temps d’apprivoiser la vôtre : commandes, moteur et boîte de vitesses varient d’un véhicule à l’autre (Permis Pratique, 2022).
     
  • Renseignez-vous également sur les parcours empruntés lors de l’examen et ses pièges, et faites-le régulièrement et exactement comme en filière traditionnelle.

Lundi 7 Juillet 2025
Céline Picard



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